Un travail ennuyeux
Ma mère m'avait dit, lorsque je suis entré en classe de sixième, que je devais faire plus tard un métier que j'aime et que je prenne beaucoup de plaisir à le faire. -L'ennui est la pire des choses qui puisse nous arriver, déclarait-elle souvent. Mais rare sont les enfants qui savent ce qu'ils aimeront faire quand ils seront adultes. Je n'étais pas encore fixé et j'attendais encore pour me décider. C'était un 21 mars, le jour du printemps. J'avais dix-sept ans, il faisait très beau dans notre ville. La température était douce, les jeunes filles comme les fleurs semblaient s'épanouir et j'avais droit à un petit sourire quand je les regardais passer. Je me promenais, je n'avais pas de cours ce jour là et c'est ainsi qu'en flânant, je passais devant la caserne des pompiers, celle qui est proche du commissariat. Les pompiers avaient sorti tous leurs engins rutilants, ils étaient habillés de bleu marine et les manches retroussées avec élégance, ils astiquaient ces magnifiques créatures que sont les camions d'incendie. Je ne sais  pas si c'est le rouge qui m'a attiré en premier ou si c'est la fonction, mais je me dirigeais vers un de ces pompiers et sans hésiter, je lui demandais ce qu'il fallait faire pour rentrer dans ce corps d'élite. - Maman, je vais devenir pompier, je me suis engagé ! Tout à ma joie, euphorique, je n'ai pas vu tout de suite ma petite maman blêmir. Elle qui rêvait d'un métier prestigieux pour son fils, j'allais devenir un simple pompier. Une vie rude, dangereuse et surtout très mal payée. - Tu t'es engagé ? - Oui et non. J'ai accepté d'être pompier volontaire. Je peux continuer mes études et je ne serai pompier que s'ils ont besoin de moi. Si un grand feu se déclare ou s'il y a un grave danger, ils auront besoin de moi, tu verras et je pourrais rendre service à l'humanité. Tu sais, j'aurais beaucoup de plaisir à le faire et je le ferai bien et tu seras fière de moi. Ma petite maman baissa les yeux, prit son programme TV et s'assit dans le fauteuil de  papa. Quand elle était dans son fauteuil, elle avait l'impression d'être avec lui et qu'il était présent. Il a été le seul homme de sa vie et maintenant j'étais son deuxième homme. La mine lui avait volé son mari, les pompiers lui voleraient son fils, elle serait bientôt seule et pourrait aller le retrouver. Elle alluma la TV, zappa les chaînes, s'arrêta sur la Roue de la Fortune et fixa l'écran. Elle ne parlait pas. Enfin vint l'été. Un été très chaud et très sec. J'étais habillé avec mon uniforme et mes bottes en cuir épais résonnaient sur le macadam. Je faisais le tour des habitations de mon quartier et mettais en garde les habitants contre les risques d'incendie. Je passais mes journées à balayer les hangars et astiquer les casques. Les filles faisaient exprès de passer devant la caserne, mais je m'ennuyais. Soudain ce fût un été très chaud pour les pompiers car de multiples incendies se déclarèrent dans les fermes aux alentours. Je faisais preuve de bravoure. On pensa un moment et la presse locale s'en fit l'écho que c'était un pyromane qui mettait le feu. Je faisais bien mon travail, et si c'était grâce à un pyromane, et bien tant mieux. Les incendies cessèrent en même temps que ma rentrée en faculté, en octobre. J'avais eu mon BAC, et je rentrais en faculté de droit. Les cours scolaires ne me laissaient pas beaucoup de temps libre. Mais en faculté, c'était différent, j'avais dix heures de cours par semaine et le reste, je le consacrais à étudier soit à la maison, soit à la bibliothèque. Je croyais souvent entendre la sirène, mais ce n'était que mon imagination. J'avais été voir le capitaine des pompiers pour l'avertir que désormais je serai beaucoup plus disponible, mais il n'y avait que peu d'incendies et ils étaient rapidement maîtrisés, il n'avait pas besoin de moi. Je commençais à m'ennuyer. Le pyromane remit ça, et c'était toujours les jours où j'étais libre. Le Combattant du Feu que j'étais luttait contre le fléau, un travail bien fait, un travail que j'aimais. Un soir ma petite maman m'attendait, debout dans le hall avec dans une main un bidon d'essence et une veste de survêtement roussie dans l'autre. Un regard accusateur, une claque, un gros mot. C'est d'ailleurs le même soir que notre petite maison brûla, ma petite maman n'y survit pas et pourtant je luttais seul au début contre cet incendie et enfin avec l'aide de la compagnie. Je lui fis de belles obsèques et je savais qu'elle était enfin heureuse avec papa. C'est ce qu'elle voulait après tout. Je démissionnais le même jour de mon poste de pompier volontaire, et me consacrais très durement à mes études. Je décrochais tous mes diplômes et décidais d'entrer dans la Police. J'avais un bon bagage (ma petite maman me disait toujours qu'il fallait un bon bagage pour réussir dans la vie), j'avais donc un bon bagage de Droit et je fus très rapidement nommé inspecteur. Je passais le plus clair de mon temps à élucider des affaires sans intérêt. Souvent en tant qu'officier de police judiciaire, je ne faisais que mettre ma griffe sur un rapport fait par un agent. Cela ne me plaisait pas trop et je m'ennuyais, jusqu'au jour où un nombre grandissant de cambriolages et de vols à la roulotte survînt dans ma vie policière monotone. Enfin je prenais goût à mon travail et j'aimais ce que je faisais. Dès l'annonce d'un cambriolage, je me rendais sur les lieux et tel Sherlock Holmes, je recherchais des indices, des empreintes de doigts ou de pas. Je faisais l'inventaire des objets volés, je réconfortais les malheureux. Un cambriolage c'est comme un viol. Le cambrioleur viole votre intimité, il touche à ce que vous avez de plus cher, il voit vos sous-vêtements, il piétine votre lit, il découvre vos secrets interdits. Ces cambriolages durèrent deux années sans que l'on arrive vraiment à trouver un ou des coupables. J'avais, par hasard, arrêté un pauvre diable qui avait pénétré chez la mère Bize pour lui voler de la nourriture. Il n'avait pas mangé depuis plus de trois jours et la faim fait sortir le loup du bois. Le préfet trouvait bizarre que je ne trouve aucune piste sérieuse. C'est sûr, je faisais attention et même si un collègue enquêtait à ma place, je faisais attention à ne pas laisser de traces quand je "visitais" une maison. Quand je sentis la pression des "Boeufs-Carottes", la police des polices, je me suis dit qu'il était temps de quitter ce métier. Car s'il n'y avait plus de cambriolage, je ne pourrais plus enquêter et ça ne m'amuserait plus. Quoi de plus triste que de voir un pompier balayer un hangar, alors qu'il est si noble quand il combat le feu, ou de voir un inspecteur de police seul dans son bureau à lire des notes de ses supérieurs alors qu'il est un Zorro quand il se déplace chez la veuve et l'orphelin agressés. Aujourd'hui, j'ai changé de métier et je me suis mis à mon compte. J'ai ouvert une société de pompes funèbres,  j'aime bien réconforter les gens, mais je trouve que l'on ne meurt pas beaucoup ici et je commence à m'ennuyer...     Jean-Marie Le Braz le 27.09.95
Un travail ennuyeux
Ma mère m'avait dit, lorsque je suis entré en classe de sixième, que je devais faire plus tard un métier que j'aime et que je prenne beaucoup de plaisir à le faire. -L'ennui est la pire des choses qui puisse nous arriver, déclarait-elle souvent. Mais rare sont les enfants qui savent ce qu'ils aimeront faire quand ils seront adultes. Je n'étais pas encore fixé et j'attendais encore pour me décider. C'était un 21 mars, le jour du printemps. J'avais dix-sept ans, il faisait très beau dans notre ville. La température était douce, les jeunes filles comme les fleurs semblaient s'épanouir et j'avais droit à un petit sourire quand je les regardais passer. Je me promenais, je n'avais pas de cours ce jour là et c'est ainsi qu'en flânant, je passais devant la caserne des pompiers, celle qui est proche du commissariat. Les pompiers avaient sorti tous leurs engins rutilants, ils étaient habillés de bleu marine et les manches retroussées avec élégance, ils astiquaient ces magnifiques créatures que sont les camions d'incendie. Je ne sais  pas si c'est le rouge qui m'a attiré en premier ou si c'est la fonction, mais je me dirigeais vers un de ces pompiers et sans hésiter, je lui demandais ce qu'il fallait faire pour rentrer dans ce corps d'élite. - Maman, je vais devenir pompier, je me suis engagé ! Tout à ma joie, euphorique, je n'ai pas vu tout de suite ma petite maman blêmir. Elle qui rêvait d'un métier prestigieux pour son fils, j'allais devenir un simple pompier. Une vie rude, dangereuse et surtout très mal payée. - Tu t'es engagé ? - Oui et non. J'ai accepté d'être pompier volontaire. Je peux continuer mes études et je ne serai pompier que s'ils ont besoin de moi. Si un grand feu se déclare ou s'il y a un grave danger, ils auront besoin de moi, tu verras et je pourrais rendre service à l'humanité. Tu sais, j'aurais beaucoup de plaisir à le faire et je le ferai bien et tu seras fière de moi. Ma petite maman baissa les yeux, prit son programme TV et s'assit dans le fauteuil de  papa. Quand elle était dans son fauteuil, elle avait l'impression d'être avec lui et qu'il était présent. Il a été le seul homme de sa vie et maintenant j'étais son deuxième homme. La mine lui avait volé son mari, les pompiers lui voleraient son fils, elle serait bientôt seule et pourrait aller le retrouver. Elle alluma la TV, zappa les chaînes, s'arrêta sur la Roue de la Fortune et fixa l'écran. Elle ne parlait pas. Enfin vint l'été. Un été très chaud et très sec. J'étais habillé avec mon uniforme et mes bottes en cuir épais résonnaient sur le macadam. Je faisais le tour des habitations de mon quartier et mettais en garde les habitants contre les risques d'incendie. Je passais mes journées à balayer les hangars et astiquer les casques. Les filles faisaient exprès de passer devant la caserne, mais je m'ennuyais. Soudain ce fût un été très chaud pour les pompiers car de multiples incendies se déclarèrent dans les fermes aux alentours. Je faisais preuve de bravoure. On pensa un moment et la presse locale s'en fit l'écho que c'était un pyromane qui mettait le feu. Je faisais bien mon travail, et si c'était grâce à un pyromane, et bien tant mieux. Les incendies cessèrent en même temps que ma rentrée en faculté, en octobre. J'avais eu mon BAC, et je rentrais en faculté de droit. Les cours scolaires ne me laissaient pas beaucoup de temps libre. Mais en faculté, c'était différent, j'avais dix heures de cours par semaine et le reste, je le consacrais à étudier soit à la maison, soit à la bibliothèque. Je croyais souvent entendre la sirène, mais ce n'était que mon imagination. J'avais été voir le capitaine des pompiers pour l'avertir que désormais je serai beaucoup plus disponible, mais il n'y avait que peu d'incendies et ils étaient rapidement maîtrisés, il n'avait pas besoin de moi. Je commençais à m'ennuyer. Le pyromane remit ça, et c'était toujours les jours où j'étais libre. Le Combattant du Feu que j'étais luttait contre le fléau, un travail bien fait, un travail que j'aimais. Un soir ma petite maman m'attendait, debout dans le hall avec dans une main un bidon d'essence et une veste de survêtement roussie dans l'autre. Un regard accusateur, une claque, un gros mot. C'est d'ailleurs le même soir que notre petite maison brûla, ma petite maman n'y survit pas et pourtant je luttais seul au début contre cet incendie et enfin avec l'aide de la compagnie. Je lui fis de belles obsèques et je savais qu'elle était enfin heureuse avec papa. C'est ce qu'elle voulait après tout. Je démissionnais le même jour de mon poste de pompier volontaire, et me consacrais très durement à mes études. Je décrochais tous mes diplômes et décidais d'entrer dans la Police. J'avais un bon bagage (ma petite maman me disait toujours qu'il fallait un bon bagage pour réussir dans la vie), j'avais donc un bon bagage de Droit et je fus très rapidement nommé inspecteur. Je passais le plus clair de mon temps à élucider des affaires sans intérêt. Souvent en tant qu'officier de police judiciaire, je ne faisais que mettre ma griffe sur un rapport fait par un agent. Cela ne me plaisait pas trop et je m'ennuyais, jusqu'au jour où un nombre grandissant de cambriolages et de vols à la roulotte survînt dans ma vie policière monotone. Enfin je prenais goût à mon travail et j'aimais ce que je faisais. Dès l'annonce d'un cambriolage, je me rendais sur les lieux et tel Sherlock Holmes, je recherchais des indices, des empreintes de doigts ou de pas. Je faisais l'inventaire des objets volés, je réconfortais les malheureux. Un cambriolage c'est comme un viol. Le cambrioleur viole votre intimité, il touche à ce que vous avez de plus cher, il voit vos sous- vêtements, il piétine votre lit, il découvre vos secrets interdits. Ces cambriolages durèrent deux années sans que l'on arrive vraiment à trouver un ou des coupables. J'avais, par hasard, arrêté un pauvre diable qui avait pénétré chez la mère Bize pour lui voler de la nourriture. Il n'avait pas mangé depuis plus de trois jours et la faim fait sortir le loup du bois. Le préfet trouvait bizarre que je ne trouve aucune piste sérieuse. C'est sûr, je faisais attention et même si un collègue enquêtait à ma place, je faisais attention à ne pas laisser de traces quand je "visitais" une maison. Quand je sentis la pression des "Boeufs-Carottes", la police des polices, je me suis dit qu'il était temps de quitter ce métier. Car s'il n'y avait plus de cambriolage, je ne pourrais plus enquêter et ça ne m'amuserait plus. Quoi de plus triste que de voir un pompier balayer un hangar, alors qu'il est si noble quand il combat le feu, ou de voir un inspecteur de police seul dans son bureau à lire des notes de ses supérieurs alors qu'il est un Zorro quand il se déplace chez la veuve et l'orphelin agressés. Aujourd'hui, j'ai changé de métier et je me suis mis à mon compte. J'ai ouvert une société de pompes funèbres,  j'aime bien réconforter les gens, mais je trouve que l'on ne meurt pas beaucoup ici et je commence à m'ennuyer...     Jean-Marie Le Braz le 27.09.95