Et Dieu dans tout ça ?
-Nous devons sortir. Dit Mireille avec vigueur. -Pourquoi ? -Nous devons sortir du Jardin et c'est tout. Jean en avait assez de discuter avec Mireille. Il ne comprenait pas la nécessité de quitter un endroit aussi confortable. Ils avaient toute la nourriture qu'ils souhaitaient, des boissons faites avec des fruits goûteux et des vêtements merveilleux. Mireille s'occupait d'entretenir leur demeure. C'était un petit appartement de trois pièces dans un petit immeuble. Elle avait mis des fleurs partout et leur parfum embaumait toute la journée. La mère de Mireille avait tenu les même propos à son père et la mère de sa mère les avait déjà tenus avant eux. C'est à croire que toutes les femmes de cette famille étaient condamnées à expliquer le pourquoi et le comment d'un départ si évident pour elles. Jean avait tout juste vingt et un ans et il se sentait suffisamment adulte pour prendre des décisions importantes, mais partir du Jardin et affronter l'inconnu n'avait aucun sens. Mireille avait cette insouciance qui caractérise les femmes. Jean avait appris par les Anciens qu'elles étaient comme ça depuis toujours et qu'elles le seraient toujours. -Ne vois-tu pas qu'on te ment, comme on a menti à tes parents, tes grands-parents et à leurs parents depuis la nuit de la Création. Jean avait un esprit cartésien et rien ne justifiait les propos de Mireille. Il ne voyait pas en quoi on lui avait menti. Il travaillait comme contrôleur- dépisteur de l'air. Son poignet portait en permanence un témoin-test et Jean devait le surveiller régulièrement où qu'il se trouve. Il pouvait ainsi vivre comme il l'entendait, sa seule contrainte consistait à vérifier son témoin-test et à signaler toute irrégularité. Il aimait se promener au bord de la bulle. Tout le Jardin était sous une bulle. Il touchait les parois en passant sa main entre les croisillons métalliques qui soutenaient toute la structure. Et il rêvait.Derrière c'était l'Enfer. Les Anciens qui donnaient les cours à l'Université lui avaient bien expliqué. Il y a très longtemps, environ cinq mille ans, Ed Bass, avait créé Ed-End. Pour Ed Bass c'était la fin. Il était seul, et il créa la Bulle pour séparer la Lumière des Ténèbres. -C'est faux ! cria Mireille. -Comment peux-tu dire que c'est faux, alors que les Anciens le tiennent de leurs pères et que laConnaissance nous l'enseigne. -La Connaissance le dit et tu la crois ? Mireille se jeta dans le fauteuil bleu, remonta ses jambes contre elle et posa son menton sur ses genoux. Une attitude que Jean connaissait. Toutes les femmes faisaient pareil, les Anciens le lui avait dit. Elles attaquaient et se retranchaient dans un mutisme incompréhensible pour les hommes. -Tu blasphèmes et je devrais te dénoncer, dit-il. -Fais-le, vas-y fais-le ! Il faut du courage, mais tu n'en as pas. Et pan sur le nez. Elle partit dans un fou rire. Il sortit de la Maison et s'engagea vers la Crique. Une petite brise soufflait un air doux et les vagues se mourraient sur le sable parfumé dans un petit soupir. Il contrôla son témoin-test. Tout était conforme. Au début Ed-End mesurait 1,2 hectare de surface. La vie à l'intérieur de la Bulle avait pris forme et le nombre des hommes et des femmes avait augmenté. Aujourd'hui en 5329, la surface était de 12 230 hectares, dix mille fois plus grande. Des robots ne craignant pas les Ténèbres et leurs maléfices travaillaient à l'édification et à la restauration de la Bulle. Jean surveillait l'air afin qu'aucun maléfice des Ténèbres ne pénètre dans la Bulle d'Ed-End. Ed Bass avait créé les premiers hommes et les premières femmes à son image. Ils étaient ses enfants. Et les enfants de ses enfants étaient toujours ses enfants et les enfants des enfants de ses enfants aussi. Une vague un peu plus forte que les autres tira Jean de ses pensées. Aller se renseigner à la Connaissance, voilà la solution au problème de Mireille. Jean aimait flâner du côté de la Connaissance. Le Jardin était magnifique et les oiseaux multicolores aux chants mélodieux le mirent de bonne humeur. La Vie était si belle. -Halte ! Déclinez votre identité ! Lui cria un haut-parleur. -Jean, fils de Pierre, lui même fils de Paul. -Annoncez votre matricule ! -Jean 0310. -Avancez jusqu'à l'Arbre. L'Arbre était un très vieux chêne. C'est le premier qu'Ed Bass avait créé et planté, c'est ce que racontaient les Anciens. Sous l'arbre il y avait un fauteuil. Jean s'assit et attendit. Un écran de brume se matérialisa et le visage d'Ed Bass l'Eternel apparu. -Bonjour Jean -Bonjour Seigneur -Quelle est ta question ? -Qu'y a-t-il derrière la Bulle ? -Toujours la même question, Jean et toujours la même réponse. Les Ténèbres et les Maléfices. Depuis plus de cinquante siècles, chacun de mes enfants est venu pour me poser cette question. Depuis cinquante siècles les Anciens vous la transmettent et pourtant le doute subsiste encore et encore. Crois-moi, Jean, derrière la Bulle il y a le Néant. Au revoir Jean. Et l'image disparue. -Au revoir Seigneur. Pourquoi faut-il que nous remettions sans cesse en cause ce que nous voyions, ce que nous entendons et ce que nous mangeons. Est-ce bon, est-ce bien. Mais le Mal, qu'est-ce que c'est ? -Le Bien ne peut vivre sans le Mal, lui dit Mireille quand il rentra le soir. La médaille a son revers sans quoi il ne peut y avoir de médaille. Nous sommes le Bien, le Mal est derrière la Bulle. Et si le Mal n'était pas le Mal mais le Bien et si nous étions le Mal, n’as-tu jamais pensé à ça Jean ? -Ne recommence pas, Mireille 3012. Quand il l'appelait par son matricule, c'est qu'il était fâché et à cours d'arguments. Il s'approcha du distributeur et demanda le plat du jour. Depuis plusieurs jours, la graine était dans le sol. Les mots de Mireille commençaient à germer dans l'esprit de Jean. Le doute l'avait toujours habité comme tout le monde. Les propos de Mireille accentuaient un malaise qui gagnait sans cesse du terrain. Il n'osait pas en parler à ses amis de peur de les perdre. Le sujet était tabou. Un soir alors qu'il finissait de manger, il prit La décision. -Viens, on va enfin savoir, dit-il à Mireille. Il prit la main de Mireille et l'entraîna vers un Tube qui les déposa à quelques centaines de mètres de l'Arbre et de la Connaissance. La zone était interdite à cette heure de la nuit. La Lumière avait baissé et la nuit les cachait. Personne n'aurait osé s'approcher de l'Arbre à cette heure. C'était interdit, c'est tout. Personne n'aurait transgressé la Loi de l'Eternel. Leurs pieds nus foulaient une mousse douce et tiède. Ils ne faisaient aucun bruit et n'osaient parler. Le blasphème atteignait le paroxysme de l'interdit. En s'approchant de l'Arbre, Mireille buta sur une plaque rigide. Elle faillit hurler de douleur, mais la peur était trop grande. -C'est une trappe, lui dit Jean. Si on la soulève, on sera punis. -Personne ne l'a fait avant nous. Je veux quitter le Jardin car je sais que derrière la Bulle, il y a une autre vie, lui dit-elle. Toujours la curiosité féminine et toujours la bêtise des hommes face aux femmes. Ils se laissent trop facilement entraîner dans des aventures sans en mesurer les conséquences. Les femmes les perdront ! Jean le croyait. Il se baissa et trouva le bouton d'ouverture. Il appuya en regardant Mireille dans les yeux. Ses yeux bleus paraissaient si pâles qu'il hésita puis reprit son geste. La trappe s'escamota. Le haut d'un escalier se déplia. Une lumière diffuse apparu au pied de l'escalier. Ils descendirent et Mireille se cramponnât à Jean. Elle tremblait. Jean ne connaissait pas un endroit du Jardin qui pouvait ressembler à celui-là. Des robots circulaient en portant des objets ou des paquets. Aucun d'eux ne prêtait attention à Mireille et à Jean. Des milliers de fils, de câbles, de tuyaux, de témoins lumineux couvraient les murs et le plafond. Il y avait un monde sous la terre du Jardin. Jamais, ils n'y avaient pensé. Ils se regardèrent et se questionnèrent du regard. Droite ou gauche ? Ils prirent le couloir de gauche. Secteur 108. Connaissance. Une pancarte venait de s'éclairer. Une voix leur proposa de franchir le seuil de la porte qui venait de s'ouvrir. Ils hésitèrent un instant, mais ils n'avaient pas le choix, ils ne pouvaient plus faire demi-tour. La pièce était éclairée par une lumière qui émanait des murs. Tout était blanc et sobre. Une musique douce sortant de nulle part accompagnait leurs pas. Deux fauteuils blancs faisaient face à un écran de deux mètres sur trois. Une voix les interpella. Mireille ne desserrait pas la main de Jean. -Prenez place dans ces fauteuils nous vous attendions. La porte se referma sans un bruit, un léger suintement se fit entendre quand elle termina sa course. Mireille pâlit. Elle faisait la fière quand ils étaient dans la Maison, mais maintenant elle avait peur. Jean la regarda et tenta de la rassurer, mais il avait aussi peur qu'elle. -Vous êtes venus pour savoir, alors vous saurez. Comme d'autres avant vous, nous vous donnerons la Connaissance et sera votre perte. Le visage virtuel de l'Eternel apparu. -Je suis Ed Bass, ma mémoire est dans un ordinateur. Je suis mort en l'an 65. Je vais vous donner cette connaissance. Le Jardin d'Ed-End fut construit en l'an 1980 d'une autre époque. J'étais l'unique héritier d'une des plus grosses fortunes pétrolières et immobilières des Etats Unis. Ces mots vous sont inconnus. Je rencontrais un jour John Allen qui avait dans l'idée de créer Biosphère 2. La planète où nous sommes s'appelle la Terre ou Biosphère 1. Le projet m'avait tout de suite séduit et dans le désert de l'Arizona nous construisîmes ce qui allait devenir le Jardin. Nous allions récréer toutes les formes de vie essentielles que nous pouvions trouver sur la Terre. Nous serions entièrement autonomes et sans contact avec le monde extérieur. Je savais que c'était un rêve complètement fou. Avec une équipe de savants et de chercheurs scientifiques et des ordinateurs puissants, nous avons conçu le Jardin, et nous l'avons habité. Au commencement, je créai les cieux et la terre. Puis me tournant vers mes scientifiques je leur dis : "Que la terre produise de la verdure, de l'herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l'étendue du ciel. Que la terre produise des animaux vivants du bétail, des reptiles et des animaux terrestres." Et il en fut ainsi. -Je me séparais bien vite de John Allen qui avait des pensées mercantiles et néfastes. Au départ c'était une simple expérience et nous devions tenir en autarcie le plus longtemps possible. En 2022, un conflit embrasât le monde. Les Russes et les Asiatiques s'associèrent pour conquérir le restant du monde. Des bombes de forte puissance détruisirent les villes, les champs, les hommes et la vie. Des bombes atomiques et des bombes à neutrons, détruisirent une grande partie du monde. Nous, dans le désert, n'étions pas concernés et fûmes oubliés de l'Holocauste mondial. Sans électricité, sans usine, sans confort les rares survivants régressèrent aux fils des siècles. Nous, au contraire, nous n'en finissions pas de croître. Nous avons acquis la Sagesse. Ici c'est le Paradis. Les hommes et les femmes enfermés dans la Bulle furent protégés malgré eux. Dehors le monde était recouvert d'un nuage très sombre fait de particules radioactives et de cendre. La lumière du soleil avait du mal à percer. C'était les Ténèbres, ici, la Lumière et la Vie. Le monde reprit vie. Lentement, très lentement, les hommes commencèrent à évoluer, la régression était stoppée. Biosphère 2 se développait sans cesse. J'étais poussière depuis déjà très longtemps et cet ordinateur devint Moi. J'existe et j'existerai Eternellement grâce à la technologie. Voilà maintenant mille années que nous savons que l'air qui est au dehors est respirable. Mais nos portes sont fermées à Ceux qui vivent au-delà. Ils sont une menace pour notre sécurité et notre bien-être. -Vous, vous êtes le ver qui pourrit la pomme et si nous vous laissons dans le Jardin d'Ed-End, un jour vous contaminerez d'autres hommes et d'autres femmes. Je vous chasse du Jardin. Toi, Mireille, tu n'auras pas l'aide de la science pour faire naître tes enfants et tu enfanteras avec douleur et tes désirs se porteront sur ton mari, mais il dominera sur toi. Le visage virtuel de Ed Bass l'Eternel se tourna vers Jean. -Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as voulu avoir la Connaissance, c'est à force de peine que tu tireras ta nourriture tous les jours de ta vie d'un sol maudit. C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. Des habits faits de poils et de peau de bêtes se matérialisèrent devant eux. -Changez-vous et quittez le Jardin. Une porte s'ouvrit sur le côté. Deux robots s'approchèrent d'eux, leur ôtèrent leurs vêtements. Jean prit les habits de peaux et sortit avec Mireille. La porte se referma, le soleil apparaissait à l'horizon, pour eux un nouveau monde venait de naître. Tout cela vous semble fiction et pourtant Ed Bass existe bien, Biosphère 2 aussi et le reste est dans la Bible. Et Dieu dans tout ça ? Ça, c’est une autre histoire. Jean-Marie LE BRAZ 29/09/1996 Les histoires de JM sont ici
-Nous devons sortir. Dit Mireille avec vigueur. -Pourquoi ? -Nous devons sortir du Jardin et c'est tout. Jean en avait assez de discuter avec Mireille. Il ne comprenait pas la nécessité de quitter un endroit aussi confortable. Ils avaient toute la nourriture qu'ils souhaitaient, des boissons faites avec des fruits goûteux et des vêtements merveilleux. Mireille s'occupait d'entretenir leur demeure. C'était un petit appartement de trois pièces dans un petit immeuble. Elle avait mis des fleurs partout et leur parfum embaumait toute la journée. La mère de Mireille avait tenu les même propos à son père et la mère de sa mère les avait déjà tenus avant eux. C'est à croire que toutes les femmes de cette famille étaient condamnées à expliquer le pourquoi et le comment d'un départ si évident pour elles. Jean avait tout juste vingt et un ans et il se sentait suffisamment adulte pour prendre des décisions importantes, mais partir du Jardin et affronter l'inconnu n'avait aucun sens. Mireille avait cette insouciance qui caractérise les femmes. Jean avait appris par les Anciens qu'elles étaient comme ça depuis toujours et qu'elles le seraient toujours. -Ne vois-tu pas qu'on te ment, comme on a menti à tes parents, tes grands-parents et à leurs parents depuis la nuit de la Création. Jean avait un esprit cartésien et rien ne justifiait les propos de Mireille. Il ne voyait pas en quoi on lui avait menti. Il travaillait comme contrôleur-dépisteur de l'air. Son poignet portait en permanence un témoin-test et Jean devait le surveiller régulièrement où qu'il se trouve. Il pouvait ainsi vivre comme il l'entendait, sa seule contrainte consistait à vérifier son témoin-test et à signaler toute irrégularité. Il aimait se promener au bord de la bulle. Tout le Jardin était sous une bulle. Il touchait les parois en passant sa main entre les croisillons métalliques qui soutenaient toute la structure. Et il rêvait.Derrière c'était l'Enfer. Les Anciens qui donnaient les cours à l'Université lui avaient bien expliqué. Il y a très longtemps, environ cinq mille ans, Ed Bass, avait créé Ed- End. Pour Ed Bass c'était la fin. Il était seul, et il créa la Bulle pour séparer la Lumière des Ténèbres. -C'est faux ! cria Mireille. -Comment peux-tu dire que c'est faux, alors que les Anciens le tiennent de leurs pères et que laConnaissance nous l'enseigne. -La Connaissance le dit et tu la crois ? Mireille se jeta dans le fauteuil bleu, remonta ses jambes contre elle et posa son menton sur ses genoux. Une attitude que Jean connaissait. Toutes les femmes faisaient pareil, les Anciens le lui avait dit. Elles attaquaient et se retranchaient dans un mutisme incompréhensible pour les hommes. -Tu blasphèmes et je devrais te dénoncer, dit-il. -Fais-le, vas-y fais-le ! Il faut du courage, mais tu n'en as pas. Et pan sur le nez. Elle partit dans un fou rire. Il sortit de la Maison et s'engagea vers la Crique. Une petite brise soufflait un air doux et les vagues se mourraient sur le sable parfumé dans un petit soupir. Il contrôla son témoin- test. Tout était conforme. Au début Ed-End mesurait 1,2 hectare de surface. La vie à l'intérieur de la Bulle avait pris forme et le nombre des hommes et des femmes avait augmenté. Aujourd'hui en 5329, la surface était de 12 230 hectares, dix mille fois plus grande. Des robots ne craignant pas les Ténèbres et leurs maléfices travaillaient à l'édification et à la restauration de la Bulle. Jean surveillait l'air afin qu'aucun maléfice des Ténèbres ne pénètre dans la Bulle d'Ed-End. Ed Bass avait créé les premiers hommes et les premières femmes à son image. Ils étaient ses enfants. Et les enfants de ses enfants étaient toujours ses enfants et les enfants des enfants de ses enfants aussi. Une vague un peu plus forte que les autres tira Jean de ses pensées. Aller se renseigner à la Connaissance, voilà la solution au problème de Mireille. Jean aimait flâner du côté de la Connaissance. Le Jardin était magnifique et les oiseaux multicolores aux chants mélodieux le mirent de bonne humeur. La Vie était si belle. -Halte ! Déclinez votre identité ! Lui cria un haut-parleur. -Jean, fils de Pierre, lui même fils de Paul. -Annoncez votre matricule ! -Jean 0310. -Avancez jusqu'à l'Arbre. L'Arbre était un très vieux chêne. C'est le premier qu'Ed Bass avait créé et planté, c'est ce que racontaient les Anciens. Sous l'arbre il y avait un fauteuil. Jean s'assit et attendit. Un écran de brume se matérialisa et le visage d'Ed Bass l'Eternel apparu. -Bonjour Jean -Bonjour Seigneur -Quelle est ta question ? -Qu'y a-t-il derrière la Bulle ? -Toujours la même question, Jean et toujours la même réponse. Les Ténèbres et les Maléfices. Depuis plus de cinquante siècles, chacun de mes enfants est venu pour me poser cette question. Depuis cinquante siècles les Anciens vous la transmettent et pourtant le doute subsiste encore et encore. Crois-moi, Jean, derrière la Bulle il y a le Néant. Au revoir Jean. Et l'image disparue. -Au revoir Seigneur. Pourquoi faut-il que nous remettions sans cesse en cause ce que nous voyions, ce que nous entendons et ce que nous mangeons. Est-ce bon, est-ce bien. Mais le Mal, qu'est-ce que c'est ? -Le Bien ne peut vivre sans le Mal, lui dit Mireille quand il rentra le soir. La médaille a son revers sans quoi il ne peut y avoir de médaille. Nous sommes le Bien, le Mal est derrière la Bulle. Et si le Mal n'était pas le Mal mais le Bien et si nous étions le Mal, n’as-tu jamais pensé à ça Jean ? -Ne recommence pas, Mireille 3012. Quand il l'appelait par son matricule, c'est qu'il était fâché et à cours d'arguments. Il s'approcha du distributeur et demanda le plat du jour. Depuis plusieurs jours, la graine était dans le sol. Les mots de Mireille commençaient à germer dans l'esprit de Jean. Le doute l'avait toujours habité comme tout le monde. Les propos de Mireille accentuaient un malaise qui gagnait sans cesse du terrain. Il n'osait pas en parler à ses amis de peur de les perdre. Le sujet était tabou. Un soir alors qu'il finissait de manger, il prit La décision. -Viens, on va enfin savoir, dit-il à Mireille. Il prit la main de Mireille et l'entraîna vers un Tube qui les déposa à quelques centaines de mètres de l'Arbre et de la Connaissance. La zone était interdite à cette heure de la nuit. La Lumière avait baissé et la nuit les cachait. Personne n'aurait osé s'approcher de l'Arbre à cette heure. C'était interdit, c'est tout. Personne n'aurait transgressé la Loi de l'Eternel. Leurs pieds nus foulaient une mousse douce et tiède. Ils ne faisaient aucun bruit et n'osaient parler. Le blasphème atteignait le paroxysme de l'interdit. En s'approchant de l'Arbre, Mireille buta sur une plaque rigide. Elle faillit hurler de douleur, mais la peur était trop grande. -C'est une trappe, lui dit Jean. Si on la soulève, on sera punis. -Personne ne l'a fait avant nous. Je veux quitter le Jardin car je sais que derrière la Bulle, il y a une autre vie, lui dit-elle. Toujours la curiosité féminine et toujours la bêtise des hommes face aux femmes. Ils se laissent trop facilement entraîner dans des aventures sans en mesurer les conséquences. Les femmes les perdront ! Jean le croyait. Il se baissa et trouva le bouton d'ouverture. Il appuya en regardant Mireille dans les yeux. Ses yeux bleus paraissaient si pâles qu'il hésita puis reprit son geste. La trappe s'escamota. Le haut d'un escalier se déplia. Une lumière diffuse apparu au pied de l'escalier. Ils descendirent et Mireille se cramponnât à Jean. Elle tremblait. Jean ne connaissait pas un endroit du Jardin qui pouvait ressembler à celui-là. Des robots circulaient en portant des objets ou des paquets. Aucun d'eux ne prêtait attention à Mireille et à Jean. Des milliers de fils, de câbles, de tuyaux, de témoins lumineux couvraient les murs et le plafond. Il y avait un monde sous la terre du Jardin. Jamais, ils n'y avaient pensé. Ils se regardèrent et se questionnèrent du regard. Droite ou gauche ? Ils prirent le couloir de gauche. Secteur 108. Connaissance. Une pancarte venait de s'éclairer. Une voix leur proposa de franchir le seuil de la porte qui venait de s'ouvrir. Ils hésitèrent un instant, mais ils n'avaient pas le choix, ils ne pouvaient plus faire demi-tour. La pièce était éclairée par une lumière qui émanait des murs. Tout était blanc et sobre. Une musique douce sortant de nulle part accompagnait leurs pas. Deux fauteuils blancs faisaient face à un écran de deux mètres sur trois. Une voix les interpella. Mireille ne desserrait pas la main de Jean. -Prenez place dans ces fauteuils nous vous attendions. La porte se referma sans un bruit, un léger suintement se fit entendre quand elle termina sa course. Mireille pâlit. Elle faisait la fière quand ils étaient dans la Maison, mais maintenant elle avait peur. Jean la regarda et tenta de la rassurer, mais il avait aussi peur qu'elle. -Vous êtes venus pour savoir, alors vous saurez. Comme d'autres avant vous, nous vous donnerons la Connaissance et sera votre perte. Le visage virtuel de l'Eternel apparu. -Je suis Ed Bass, ma mémoire est dans un ordinateur. Je suis mort en l'an 65. Je vais vous donner cette connaissance. Le Jardin d'Ed-End fut construit en l'an 1980 d'une autre époque. J'étais l'unique héritier d'une des plus grosses fortunes pétrolières et immobilières des Etats Unis. Ces mots vous sont inconnus. Je rencontrais un jour John Allen qui avait dans l'idée de créer Biosphère 2. La planète où nous sommes s'appelle la Terre ou Biosphère 1. Le projet m'avait tout de suite séduit et dans le désert de l'Arizona nous construisîmes ce qui allait devenir le Jardin. Nous allions récréer toutes les formes de vie essentielles que nous pouvions trouver sur la Terre. Nous serions entièrement autonomes et sans contact avec le monde extérieur. Je savais que c'était un rêve complètement fou. Avec une équipe de savants et de chercheurs scientifiques et des ordinateurs puissants, nous avons conçu le Jardin, et nous l'avons habité. Au commencement, je créai les cieux et la terre. Puis me tournant vers mes scientifiques je leur dis : "Que la terre produise de la verdure, de l'herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l'étendue du ciel. Que la terre produise des animaux vivants du bétail, des reptiles et des animaux terrestres." Et il en fut ainsi. -Je me séparais bien vite de John Allen qui avait des pensées mercantiles et néfastes. Au départ c'était une simple expérience et nous devions tenir en autarcie le plus longtemps possible. En 2022, un conflit embrasât le monde. Les Russes et les Asiatiques s'associèrent pour conquérir le restant du monde. Des bombes de forte puissance détruisirent les villes, les champs, les hommes et la vie. Des bombes atomiques et des bombes à neutrons, détruisirent une grande partie du monde. Nous, dans le désert, n'étions pas concernés et fûmes oubliés de l'Holocauste mondial. Sans électricité, sans usine, sans confort les rares survivants régressèrent aux fils des siècles. Nous, au contraire, nous n'en finissions pas de croître. Nous avons acquis la Sagesse. Ici c'est le Paradis. Les hommes et les femmes enfermés dans la Bulle furent protégés malgré eux. Dehors le monde était recouvert d'un nuage très sombre fait de particules radioactives et de cendre. La lumière du soleil avait du mal à percer. C'était les Ténèbres, ici, la Lumière et la Vie. Le monde reprit vie. Lentement, très lentement, les hommes commencèrent à évoluer, la régression était stoppée. Biosphère 2 se développait sans cesse. J'étais poussière depuis déjà très longtemps et cet ordinateur devint Moi. J'existe et j'existerai Eternellement grâce à la technologie. Voilà maintenant mille années que nous savons que l'air qui est au dehors est respirable. Mais nos portes sont fermées à Ceux qui vivent au-delà. Ils sont une menace pour notre sécurité et notre bien-être. -Vous, vous êtes le ver qui pourrit la pomme et si nous vous laissons dans le Jardin d'Ed-End, un jour vous contaminerez d'autres hommes et d'autres femmes. Je vous chasse du Jardin. Toi, Mireille, tu n'auras pas l'aide de la science pour faire naître tes enfants et tu enfanteras avec douleur et tes désirs se porteront sur ton mari, mais il dominera sur toi. Le visage virtuel de Ed Bass l'Eternel se tourna vers Jean. -Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as voulu avoir la Connaissance, c'est à force de peine que tu tireras ta nourriture tous les jours de ta vie d'un sol maudit. C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. Des habits faits de poils et de peau de bêtes se matérialisèrent devant eux. -Changez-vous et quittez le Jardin. Une porte s'ouvrit sur le côté. Deux robots s'approchèrent d'eux, leur ôtèrent leurs vêtements. Jean prit les habits de peaux et sortit avec Mireille. La porte se referma, le soleil apparaissait à l'horizon, pour eux un nouveau monde venait de naître. Tout cela vous semble fiction et pourtant Ed Bass existe bien, Biosphère 2 aussi et le reste est dans la Bible. Et Dieu dans tout ça ? Ça, c’est une autre histoire. Jean-Marie LE BRAZ 29/09/1996 Les histoires de JM sont ici
Et Dieu dans tout ça ?