Les monchus* sont à Passy
C’est l’été, ils sont revenus.
Passy, 13h30 en juillet
« Vint Dieu Gros-chien, qu’est-ce qu’y a ? » Je suis au frais, tranquille devant un petit verre de génépi. J’ai fait ma petite vaisselle. A midi,
Gros-chien, Gros-chat et moi, nous avons mangé des diots avec de la polente. Nous avons bien mangé, et nous sommes heureux de sentir le
temps qui passe. Gros-chat dort dans mon lit au fond de la pièce, et Gros-chien est comme à son habitude couché contre mes pieds. Moi, ma
tête posée sur mes bras croisés collés à la toile cirée. Il fait chaud dehors. La porte ouverte laisse passer un petit courant d’air agréable.
Gros-chien me sort de ma torpeur par un grognement sourd. « Hahaha Gros-chien, t’as entendu un monchu. Ce tantôt, y en aura d’autres. »
Ce n’est pas qu’il n’y aime pas les touristes mon Gros-chien, mais certains l’énervent quand ils passent à vive allure sur leur VTT devant chez
nous en faisant voler les pierres du chemin et pleurer leurs freins. Gros-chien ne comprend pas pourquoi ils font ça. Et ce n’est que le début.
Les touristes sont en marche. Ils sont partis du Plateau d’Assy et vont passer en plein cagna devant le chalet. Moi je les aime bien. J’adore
les voir marcher avec leur bâton de ski, sans les skis quand même, peut-être parce qu’on est en été. Ils ont acheté la totale, sac neuf,
gourde, chaussures pour grimper l’Himalya, etc. Il doit y avoir des bons vendeurs chez Décathlon.
Gros-chat dort toujours, il s’en fout. Je finis mon génépi, rote un bon coup, et me lève pour aller devant. La porte est toujours ouverte pour
montrer qu’ici on est accueillant. Les gens de la ville ont oublié ça, l’accueil. La planche devant le chalet est un peu à l’ombre maintenant,
je m’assois et attends. Déjà j’entends le souffle des locomotives humaines. « Hé Gros-chien, ils arrivent. » Heureusement qu’on a fait
comme chaque matin notre balade à l’heure où les bruits et les odeurs s’envolent. Les mésanges charbonnières annoncent le beau temps.
Les vaches du Marcel lèvent la tête, elles ont aussi entendu le monchu au vélo et maintenant sentent l’odeur de la transpiration des
migrateurs qui grimpent vers elles.
Ils arrivent, un petit troupeau de 6 personnes. Ils passent devant le chalet en soufflant fort. Gros-chien saute sur la planche à côté de moi.
Pas pour me protéger, il sait qu’ils ne sont pas méchants, mais par curiosité. Comme moi, il a du mal à comprendre ces gens. Ils font du
«trail», mais à chaque groupe, sa vitesse. Des bonjours timides se font entendre en me voyant. Je dis « Adieu ! Ça va ? Ça grimpe ? » Et que
ça transpire, et que ça s’essuie le front, et que ça remet sa casquette protège nuque. Hahaha ! Gros-chien a l’œil tout rond. J’ai
l’impression qu’il se marre.
« Pour aller à Charbonnière, c’est par là ? » « Oui, suivez le chemin. C’est tout bon. » En plus, il n’y a qu’un chemin. Ils passent devant les
vaches du Marcel qui ne les regardent plus, elles sont blasées. J’éprouve un peu de pitié en voyant les gentils monchus des villes grimper un
peu par obligation notre montagne. Ils prennent des chemins trouvés sur Internet et qu’ils suivent à la lettre. Leur smartphone sert de GPS.
D’aucuns écoutent de la musique tout en accélérant le pas car il faut battre un record.
J’ai envie de leur crier « Stop, arrêtez. Retournez à votre hôtel, reposez-vous et revenez demain matin à 6h00, pour écouter vivre la
montagne.» La montagne n’est pas une fille de joie que l’on culbute derrière un buisson, c’est une Dame qu’il faut enlacer avec
tendresse.
Allez Gros-chien on rentre au frais, le spectacle est terminé. Avant le souper, on ira chercher quelques framboises sauvages et des ambrunes
pour le dessert.
Jean-Marie Le Braz
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Le vieux montagnard de la Yaute
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En route pour Platé
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* Nostalgie -4
Monchu : En savoyard veut dire Monsieur ou Dame de la ville, touriste.