Le vieux montagnard de Passy
Attendre la fin ici, c’est le bonheur. Passy, 8h30 en mars. Ca y est, les premiers rayons du soleil apparaissent au-dessus de la chaîne du Mont-Blanc. Assis devant mon petit chalet, je regarde. C’est bon de ressentir la caresse chaleureuse du soleil naissant. Derrière moi, la brume continue de grimpée et les aiguilles de Varens vont enfin apparaître. Que c’est bon. J’aurai dû mettre un coussin sur cette planche. Ma tête appuyée contre la jardinière qui est en attente des fleurs de printemps, je savoure cet instant. La porte de ma cabane, un petit chalet d’alpage, est entre-ouverte et je sens les odeurs du bois brûlé qui quittent la demeure, le travail accomplit. Gros-chien me pousse du museau. Je l’appelle Gros-chien mais son vrai prénom est Arnold. J’aime bien l’appeler Gros-chien. Oui, je t’aime. Je lui fais une grande place sur la planche, il saute à côté de moi et nous regardons tous les deux, ensemble, la vallée qui s’ébroue. Les bruits nous parviennent peu à peu. J’en prends conscience, je les distingue, je les identifie, je les aime. Ils sont la vie de la montagne. J’entends les sonnailles des vaches du Marcel. Pas commode le Marcel mais pas un méchant bougre. Les sonnailles sont aux montagnes, ce qu’est le sel dans la marmite. C’est le cœur de la montagne qui vibre, c’est, c’est… je ne sais pas comment essayer de vous faire partager ce que je ressens quand je les entends. J’aime ces sons. Mon vieux pantalon en velours me tient assez chaud pour attendre que tous les rayons soient passés au-dessus des monts. Ma fille râle parce que je n’ai pas voulu acheter une nouvelle ceinture et que j’ai mis une bonne corde de ballot de foin à la place. C’est bien comme ça. Gros- chien pose une patte sur ma cuisse et me regarde droit dans les yeux. Il me demande si je suis bien. Oui, et je sais que lui aussi. Ah un verdier chante dans le cerisier. Je l’appelle l’oiseau télégraphe : ti-ti-ti-ti-ti-ti. Je ne fais rien et c’est bon. L’air est chargé de l’humidité du matin et transporte des odeurs de boue, de champignons, d’herbes humides, de la vie de la terre de la Yaute. J’aime ces matins là. J’aime aussi l’odeur qui se développe après un orage l’été. Ce n’est pas la même odeur. J’aurai dû mettre ma parka. Il se fait vieux le Jean-Marie, j’y sais et pourtant j’y fais pas. Gros-chat arrive. Il a passé une partie de la nuit dehors, mais à la fraîche, il a préféré venir me rejoindre dans le lit. Pareil que Gros-chien, ce n’est pas son vrai prénom. Lui c’est Tommy, à cause de Tom le chat du dessin animé de mon enfance. Il m’a fait penser à lui. C’est un gros matou noir et blanc. Gros-chat vient sur mes genoux, se dresse sur ses pattes arrière et frotte son visage contre ma vieille barbe. Ca c’est de l’amour. Il l’aime son vieux papa. Haha ! Gros-chien fait un peu la gueule. Mais je t’aime mon gros. Nous voilà tous les trois ensembles sur cette vieille planche que les années ont noircie. Trois couillons qui ne bougent pas, qui attendent. Attendent quoi ? Que le temps passe. Ah qu’il est bon de ne rien faire. La Marie, la femme du Marcel, dit en bas que je suis un vieux fou solitaire. Ben oui, la Marie, t’as raison. Si vouloir contempler le temps qui passe, lire les montagnes, comprendre les nuages, accepter la pluie et saluer le soleil le matin c’est être fou, alors je suis fou. Gros-chat plante ses griffes dans la manche de mon pull pour être sûr que je reste avec lui. Mais oui Gros-chat, je reste. Ca y est tous les rayons du soleil sont passés au-dessus du Mont-Blanc. Je ne peux plus les regarder. Allez les gars on rentre, j’vais prendre un p’tit déjeuner et ensuite j’irai marcher avec Gros-chien. Ca c’est le bonheur, ça c’est la vraie vie. Jean-Marie Le Braz * Les monchus sont à Passy -2 * En route pour Platé -3 * Nostalgie -4
Le chant du Verdier
Le vieux montagnard de Passy
Attendre la fin ici, c’est le bonheur. Passy, 8h30 en mars. Ca y est, les premiers rayons du soleil apparaissent au-dessus de la chaîne du Mont-Blanc. Assis devant mon petit chalet, je regarde. C’est bon de ressentir la caresse chaleureuse du soleil naissant. Derrière moi, la brume continue de grimpée et les aiguilles de Varens vont enfin apparaître. Que c’est bon. J’aurai dû mettre un coussin sur cette planche. Ma tête appuyée contre la jardinière qui est en attente des fleurs de printemps, je savoure cet instant. La porte de ma cabane, un petit chalet d’alpage, est entre-ouverte et je sens les odeurs du bois brûlé qui quittent la demeure, le travail accomplit. Gros-chien me pousse du museau. Je l’appelle Gros-chien mais son vrai prénom est Arnold. J’aime bien l’appeler Gros- chien. Oui, je t’aime. Je lui fais une grande place sur la planche, il saute à côté de moi et nous regardons tous les deux, ensemble, la vallée qui s’ébroue. Les bruits nous parviennent peu à peu. J’en prends conscience, je les distingue, je les identifie, je les aime. Ils sont la vie de la montagne. J’entends les sonnailles des vaches du Marcel. Pas commode le Marcel mais pas un méchant bougre. Les sonnailles sont aux montagnes, ce qu’est le sel dans la marmite. C’est le cœur de la montagne qui vibre, c’est, c’est… je ne sais pas comment essayer de vous faire partager ce que je ressens quand je les entends. J’aime ces sons. Mon vieux pantalon en velours me tient assez chaud pour attendre que tous les rayons soient passés au-dessus des monts. Ma fille râle parce que je n’ai pas voulu acheter une nouvelle ceinture et que j’ai mis une bonne corde de ballot de foin à la place. C’est bien comme ça. Gros-chien pose une patte sur ma cuisse et me regarde droit dans les yeux. Il me demande si je suis bien. Oui, et je sais que lui aussi. Ah un verdier chante dans le cerisier. Je l’appelle l’oiseau télégraphe : ti-ti-ti-ti-ti-ti. Je ne fais rien et c’est bon. L’air est chargé de l’humidité du matin et transporte des odeurs de boue, de champignons, d’herbes humides, de la vie de la terre de la Yaute. J’aime ces matins là. J’aime aussi l’odeur qui se développe après un orage l’été. Ce n’est pas la même odeur. J’aurai dû mettre ma parka. Il se fait vieux le Jean-Marie, j’y sais et pourtant j’y fais pas. Gros-chat arrive. Il a passé une partie de la nuit dehors, mais à la fraîche, il a préféré venir me rejoindre dans le lit. Pareil que Gros-chien, ce n’est pas son vrai prénom. Lui c’est Tommy, à cause de Tom le chat du dessin animé de mon enfance. Il m’a fait penser à lui. C’est un gros matou noir et blanc. Gros-chat vient sur mes genoux, se dresse sur ses pattes arrière et frotte son visage contre ma vieille barbe. Ca c’est de l’amour. Il l’aime son vieux papa. Haha ! Gros-chien fait un peu la gueule. Mais je t’aime mon gros. Nous voilà tous les trois ensembles sur cette vieille planche que les années ont noircie. Trois couillons qui ne bougent pas, qui attendent. Attendent quoi ? Que le temps passe. Ah qu’il est bon de ne rien faire. La Marie, la femme du Marcel, dit en bas que je suis un vieux fou solitaire. Ben oui, la Marie, t’as raison. Si vouloir contempler le temps qui passe, lire les montagnes, comprendre les nuages, accepter la pluie et saluer le soleil le matin c’est être fou, alors je suis fou. Gros-chat plante ses griffes dans la manche de mon pull pour être sûr que je reste avec lui. Mais oui Gros-chat, je reste. Ca y est tous les rayons du soleil sont passés au-dessus du Mont-Blanc. Je ne peux plus les regarder. Allez les gars on rentre, j’vais prendre un p’tit déjeuner et ensuite j’irai marcher avec Gros-chien. Ca c’est le bonheur, ça c’est la vraie vie. Jean-Marie Le Braz * Les monchus sont à Passy -2 * En route pour Platé -3 * Nostalgie -4
Le chant du Verdier